www.sciencesdegestion.com |
Management des turbulences |
Management des turbulences
Travaux |
"Proposition de définition des turbulences environnementales en fonction de quatre dimensions"
Tutorat collectif
Grand Sud, Toulon 22 et 23 mai 1997.
Gaël GUEGUEN
ERFI, Montpellier 1
- L'augmentation des interrelations entre firmes (Emery et Trist, 1964; Joffre et Koenig, 1985; Mac Cann et Selsky, 1984; Dess et Beard, 1984),
- Le changement des éléments composants l'environnement (Mac Cann et Selsky, 1984; Ansoff, 1990; Marchesnay, 1993; Joffre et Koenig, 1985).
Ces deux causes peuvent se résumer aux notions de complexité et de mouvement. Cependant nous souhaiterions, par la présente communication, essayer d'approfondir le concept de turbulence.
La turbulence est généralement envisagée comme une caractéristique de l'environnement proche de l'organisation qui tend à le rendre fréquemment changeant. La perception de ces changements variera d'une organisation à l'autre mais aura un impact assez fort pour permettre une remise en cause du système de gestion actuel. Cameron, Kim et Whetten (1987) poseront, comme définition de la turbulence, que les changements auxquels est confrontée l'organisation sont significatifs, rapides et discontinus. Ansoff (1979) estimera que les turbulences stratégiques font arriver des événements singuliers et inattendus qui résistent aux réponses de succès traditionnelles et qui, au résultat final, ont un impact majeur sur les profits de l'entreprise. Plus tard (Ansoff, 1990), il envisagera que la turbulence corresponde à la variabilité dans un environnement caractérisé par un degré de nouveauté de défis et par la vitesse auxquels ils se développent.
Ces trois définitions nous permettent d'identifier quatre principes qui vont caractériser la turbulence : la significativité du changement, la rapidité du changement, l'imprévisibilité du changement et le renouvellement du type de changement.
La turbulence entraînera des modifications dans l'environnement qui auront un impact important sur l'organisation. La significativité du changement correspond à l'effet direct des nouvelles caractéristiques de l'environnement. Ce nouvel état va intéresser directement l'organisation. Elle sera en mesure de se rendre compte du changement car sa situation d'équilibre se trouvera menacée. Même si elle ne saperçoit pas que l'environnement connaît des variations, elle se rendra compte que son état se trouve modifié. La notion de significativité renvoie ainsi à celle de perception.
La rapidité du changement correspond à la vitesse dans la succession des variations. Les oscillations seront prononcées. Les secousses de l'environnement se succéderont à une vitesse suffisamment élevée pour empêcher un état prolongé de stabilité. Ainsi, les organisations en présence de turbulences risquent de connaître un effet en cascade. L'inconvénient sera que la rapidité rencontrée ne permettra pas de finir la gestion du changement précédent sans connaître de nouvelles variations.
Le changement sera imprévu, discontinu. Ansoff (1990) ajoutera que les changements discontinus seront des changements qui ne peuvent être maîtrisés par les capacités de la firme. En effet, la discontinuité sera envisagée comme un événement qui ne suit pas une extrapolation d'une série d'événements précédents. On pourra penser que l'imprévisibilité du changement gênera la firme qui souhaite un environnement stable. Cependant les changements rencontrés pourront être autant bénéfiques que mauvais pour l'organisation. La turbulence entraînera des variations difficilement prévisibles, mais celles ci pourront intrinsèquement accroître la satisfaction des firmes en présence en fonction, par exemple, de leur positionnement stratégique.
Le critère de nouveauté permet d'introduire un caractère surprenant pour ces variations. L'environnement va imposer de nouvelles situations à l'organisation où les modèles de réponses ne pourront pas servir. C'est dans cette caractéristique que résidera réellement l'opportunité d'apprentissage offert par les turbulences. C'est aussi au travers de cette notion que le concept de crise peut faire partie intégrante du processus de turbulence. Cependant la turbulence ne sera pas systématiquement composée de variations nouvelles, certaines auront déjà été rencontrées par l'organisation. En revanche nous pourrons supposer que l'importance de la turbulence sera conditionnée par le nombre de situations nouvelles et caractérisée par le renouvellement du type de changement.
Ainsi, nous pourrons retenir que la turbulence est un enchaînement d'événements plus ou moins espacés dans le temps, plus ou moins favorables mais imprévisibles quant à leur ampleur et suffisamment nouveaux pour entraîner un impact, perçu par les membres de l'organisation, qui conduit à une reconsidération des capacités de la firme du fait de la gêne occasionnée. Cependant, il nous faudra justifier cette proposition de définition afin de lui conférer un certain degré de validité.
Les éléments constituants
La définition proposée des turbulences retient donc quatre dimensions et fait une distinction entre turbulence perçue et objective, comme le retient, d'une manière plus générale, Bourgeois (1980 et 1985). La turbulence objective correspondra à un état environnemental dans lequel il y aurait cette succession rapide dévénements modifiant ses éléments, applicable à toutes les entreprises dun secteur. La turbulence perçue sera vue, pour sa part, comme la remise en cause des capacités de chacune des firmes, prises isolément, du fait de ces changements dans lenvironnement. Les différents travaux portés sur la turbulence tendent à confirmer lexistence de ces quatre dimensions dans la turbulence. Cependant nous devons expliciter ce qui compose cette définition de la turbulence. Pour ce faire nous nous attacherons à développer dune façon succincte chacune des propositions avancées.
Un enchaînement dévénements plus ou moins espacés...
Nous avons considéré la turbulence comme un enchaînement dévénements. On peut penser que lenvironnement est constitué dun ensemble déléments, qui peuvent se regrouper en systèmes. Linteraction de ces éléments va produire des événements. Cet environnement pourra être décrit en fonction de trois paramètres : labondance, la complexité et le dynamisme (Dess et Beard, 1984). Ceux ci nous permettent denvisager quun environnement sera fertile, cest à dire quil produira beaucoup dévénements. La turbulence correspondra donc à une succession dévénements. Plus il y a de chance pour quapparaissent des événements, plus il y aura de chance pour quapparaisse la turbulence. Lapparition des événements renvoie au degré de complexité, or nous avons vu que la turbulence est caractérisée par un haut niveau de complexité à lorigine.
Dautre part, la turbulence est vue comme une suite dévénements. En effet, il sagira, dans létude de ce phénomène, de constater quil y a une succession de changements. Les turbulences ne vont pas correspondre à un seul changement, même sil est majeur. On parlerait alors de mutation. La turbulence renvoie à lapparition de différents événements qui vont senchaîner de telle manière à changer létat de lenvironnement par différentes impulsions, qui ne seront pas obligatoirement identiques. Chacune delles nécessitera des réponses appropriées et spécifiques.
Lespacement dans le temps renforce le caractère successif des événements. Lintervalle entre chacune des apparitions de ces événements peut changer. Il ne sagira pas dune succession continue. Cependant nous pouvons estimer que cette vitesse de succession sera toujours fonction du temps de réponse. La turbulence va gêner la firme car la venue des événements se produira alors quelle naura pas terminé de répondre à un événement précédent. La turbulence va plus vite que la réponse des entreprises. La durée sera suffisamment courte pour quun événement se produise avant que les effets du précédent ne se soient finis.
...plus ou moins favorables mais imprévisibles quant à leur ampleur et suffisamment nouveaux...
Les conséquences de linteraction des éléments auront des effets autant positifs que négatifs. Cest linterprétation subjective des firmes en présence qui permettra de déterminer la nature exacte de ces événements. Cest pour cela quon peut estimer que les événements caractérisant la turbulence seront plus ou moins favorables. Un événement pourra être perçu comme néfaste pour une entreprise, alors quune autre du même secteur verra en lui une source dopportunité. On ne peut se prononcer sur la nature exacte de ces événements. Une saturation de lactivité peut permettre à une firme dattaquer un concurrent affaibli par des investissements sans avenir. Lappréciation des éléments devra être faite en fonction des différents systèmes composant lenvironnement.
Limprévisibilité de lampleur renvoie à lincapacité de déterminer dune façon quantitative limpact des changements environnementaux. Les événements pourront aussi bien toucher des points vitaux pour lentreprise que des zones ne représentant pas de danger. La turbulence va empêcher destimer à lavance le degré dimpact. Cela renforcera la difficulté à se prémunir delle. Le changement pourra être important ou pas. Sil est très important nous pourrons parler de crise. Ce qui est essentiel cest limpact global de la succession des événements. La turbulence peut regrouper une série de crise ou une série de secousses ou une série de chacune dentre elles. Mais cest la sommation de leffet total de ces séries qui permettra de déterminer a posteriori limpact des turbulences.
Certains changements composant la turbulence vont se distinguer par leur caractère de nouveauté. En effet, des événements auront la particularité de nêtre jamais apparus auparavant. Ainsi ce critère, qui renforce le caractère imprévisible des turbulences, entraînera deux conséquences. Premièrement, cela va permettre à la firme denrichir son ensemble d'expérience, en rentrant de nouveaux cas de figure dans sa mémoire organisationnelle. Deuxièmement, lentreprise ne pourra fournir une réponse tirée du vécu. Cela va engendrer une déstabilisation plus grande car lentreprise ne pourra extrapoler des actions passées. La fréquence des nouveautés ne peut être fixée. Tout dépendra des firmes en présence. Cependant, nous pouvons considérer que, dans une même série de turbulences, des événements se répéteront et dautres apparaîtront pour la première fois.
...pour entraîner un impact perçu et une reconsidération des capacités en raison de la gêne.
Tout ceci va conduire lentreprise à percevoir ces turbulences. Nous parlerons alors dimpact perçu. Les membres qui composent lorganisation vont percevoir ces changements environnementaux. Cameron, Kim et Whetten (1987) vont estimer que cette perception est essentiellement liée au degré hiérarchique dans lentreprise. Le comité de direction de lentreprise sapercevra en tout premier lieu de lapparition des turbulences. Cela peut sexpliquer, outre le fait que leur système dinformation est le plus global de la firme, par le degré de perception et dinterprétation. Les changements vont menacer directement les attributs organisationnels de ce type dacteur. Ainsi ils imputeront les causes de cette menace à la turbulence car ils envisageront que les capacités générales de la firme se révèlent inefficaces devant cette nouvelle donne environnementale. Ils pourront ainsi qualifier de turbulence, avec tout le caractère mystérieux et obscur quil renferme, des changements qui déstabilisent lentreprise et ainsi qui révèlent linsuffisance de lefficacité des décisions concernant la capacité de la firme. Ce sont les dirigeants de lentreprise qui mettent sur pied le potentiel souhaité de lentreprise. La turbulence va directement toucher leur rôle au sein de lorganisation.
En effet, les turbulences vont entraîner une reconsidération des capacités de la firme. Les besoins nécessaires pour parvenir aux buts de lorganisation vont changer du fait de la modification de lenvironnement. Les ressources, cest à dire lensemble des capacités de lentreprise, ne vont plus correspondre à ces besoins. Cest en sapercevant de sa déficience que la firme va reconsidérer ses capacités. Cela nimplique pas obligatoirement une modification de celles ci. Nous avons vu que la turbulence sera perçue à partir du moment où la firme va sinterroger sur ses possibilités réelles. Ainsi, cest cette reconsidération qui permettra de penser que la firme perçoit les changements dune façon irrémédiable.
Tout ceci conduira à une gêne. Lentreprise estimera que son activité est entravée par ces changements successifs. Là encore, cette gêne sera directement liée au potentiel de la firme. On peut considérer que les turbulences vont empêcher lexercice de la gestion. Cependant on peut plutôt estimer quelles vont simplement le gêner. La proposition dAnsoff de classer différentes turbulences en fonction de leur intensité permet ainsi de mieux comprendre ce phénomène de gêne. Une très faible turbulence entravera légèrement lactivité de lentreprise. A linverse, une turbulence surprenante pourra totalement enrayer le processus de gestion mis en place. Donc cette gêne sera associée à la capacité de la firme et correspondra à un niveau particulier dans le bon déroulement de la gestion.
Les quatre dimensions de la turbulence
Afin de simplifier la conceptualisation de la définition de la turbulence, précédemment émise, nous pouvons retenir quatre dimensions qui vont regrouper lensemble des composants précités. Il sagira donc de la significativité, de la rapidité, de limprévisibilité et du renouvellement. Ces quatre éléments nous permettront de repérer les turbulences dune manière plus rigoureuse. Ils vont ainsi correspondre aux composants de la turbulence comme suit :
La rapidité :
La rapidité va correspondre à la succession rapide des variations. Elle regroupe lenchaînement dévénements et lespacement dans le temps. Cette dimension nécessite une capacité de réponse dans lurgence de la part de la firme. Nous avons déjà vu que la succession se fera de telle manière que lentreprise aura du mal à pouvoir fournir une solution avant quun autre événement ne survienne. La rapidité peut être opérationnalisée en fonction de la vitesse relative du changement (Kalika, 1991). Toujours est-il que le suivi des différents changements auxquels est confrontée la firme et le temps disponible pour y répondre peut permettre didentifier la rapidité dapparition des événements.
La rapidité est relevée fréquemment, dans la littérature abordant les turbulences. Ansoff (1990, 1993) parle de rapidité du changement et de vitesse. Cameron, Kim et Whetten estiment également que létude de la turbulence passe par une appréhension des changements rapides qui la caractérise. Marchesnay (1993) considère que la turbulence correspond à une modification plus fréquente de ce qui était considéré comme stable. Mac Cann et Selsky (1984) voient dans la turbulence une connotation fortement instable et diffuse. Pour Pras (1991), la turbulence renvoie à lévolution rapide des facteurs économiques. Millier (1987) parle de bouleversements rapides. Joffre et Koenig évoquent le rythme de transformation de lenvironnement. Kalika (1991) pense quune vitesse de réaction lente est dangereuse dans un environnement turbulent.
Limprévisibilité :
La turbulence va également se caractériser par le fait quil est difficile dextrapoler, de prévoir. Limprévisibilité, inhérente aux turbulences, rend impossible toutes prévisions. Cela va sappliquer autant qualitativement que quantitativement. En effet on ne pourra estimer à lavance si le changement sera favorable ou pas pour la firme. De plus, lampleur des changements constituants la turbulence ne pourra être également prédite. Limprévisibilité renvoie à léchec des tentatives de prévisions de la part des organisations évoluant dans un environnement. Elle peut donc se mesurer directement par le pourcentage destimations erronées faites par des entreprises dun même secteur.
On peut relever que la prise en compte de limprévisibilité passe par lincertitude. De Rosnay (1975) estime que la turbulence correspond à une perturbation aléatoire de lenvironnement. Lapparition de processus aléatoires condamne ainsi toute tentative de prévision. Forgues (1991) pense que la turbulence renvoie à une imprévisibilité plus grande. Ansoff (1979, 1990) considère quil va y avoir des événements inattendus. Ces événements seront impossibles à anticiper. Pour Emery et Trist (1964) la turbulence va défier lanalyse et la prédiction. Burgaud (1995) parle dincertitude tandis que Millier (1987) évoque linstabilité. Cameron, Kim et Whetten (1987) envisagent la turbulence comme une difficulté à prévoir le changement. Joffre et Koenig (1985) insistent sur limprévisibilité du changement relative à la turbulence.
Le renouvellement :
Nous avons tenté de mettre en avant le fait que la turbulence représente une suite dévénements dont certains seront totalement nouveaux pour les firmes en présence. Cela nous a permis davancer lhypothèse que la turbulence constitue une source de nouvelles expériences par le biais de ce renouvellement du changement. Moins souvent pris en compte dans la littérature que dautres dimensions, ce critère permet de renforcer le caractère déstabilisant des turbulences. En plus de ne pas pouvoir anticiper et de ne pas avoir le temps de répondre, lentreprise se trouvera confrontée à des situations totalement nouvelles. Elle devra donc faire preuve de cohésion pour réussir à intégrer ces changements dune manière positive. Le renouvellement du changement peut être envisagé en fonction de la probabilité dapparition dun même type de changement. Il faudra ainsi voir si des événements, inconnus jusqualors, se produisent et sils ont plutôt tendance à être variés.
Joffre et Koenig (1985) parlent de nouvelles conditions que la turbulence va imposer aux entreprises. Ansoff (1979, 1990) estime que la turbulence correspond à des événements singuliers. Il insiste également sur le fait que ces événements vont poser des problèmes nouveaux. Le Bas (1995) considère que linnovation crée de la turbulence. En diffusant de nouvelles technologies, lenvironnement turbulent va engendrer des comportements réactifs nouveaux. Le thème de lexpérience se retrouve dans létude du renouvellement. Reilly, Brett et Stroh (1993) considèrent que la turbulence va représenter de nouvelles formes dopportunités. Meyer (1982) envisage les changements environnementaux sous langle de lapprentissage organisationnel. Pour leur part, Post et Mahon (1980) voient dans la turbulence un critère de nouveauté permettant daugmenter laptitude au changement.
La significativité :
Nous avons vu que la significativité renvoie à limpact perçu de la turbulence dans lorganisation. En fait, cette importance dans la répercussion du changement est corrélée à la reconsidération des capacités de la firme en raison de la gêne occasionnée par la turbulence. La dimension de significativité doit permettre de penser que la turbulence a atteint un certain stade de perception dans la firme. Cette perception nest pas toujours envisagée dans létude de la turbulence. On va mettre en avant ladaptation, définie par Ackoff et Emery comme la capacité d'un individu ou dun système de se modifier ou de modifier son environnement quand lun ou lautre a changé, quand il y a inconvénient ou perte defficience (Mac Cann et Selsky, 1984). Cependant il est plus concret destimer que les changements pourront sappeler turbulences à partir du moment où ils auront un effet majeur sur lorganisation. Cet effet sera bien évidemment conditionné par lorganisation elle même, par sa perception. C'est cette précaution qui nous permet de parler de turbulences perçues et objectives. Cette significativité pourrait être relevée à travers limpact ressenti par lentreprise.
Cameron, Kim et Whetten (1987) considèrent, avec conviction, la significativité comme un élément dominant dans létude des turbulences. On peut partager ce point de vue en envisageant que cette dimension soit discriminante dans létude des turbulences. Celles-ci ont un impact élevé et il faut donc constater la réalité de leffet sur lorganisation pour admettre si ces changements sont dordre turbulent ou pas. Cest précisément ce que pensent Joffre et Koenig (1985) en reprenant les idées de Emery et Trist (1964). En effet, la turbulence entraîne une perte de contrôle. Le critère de significativité est donc mis en avant. De plus, ils vont rajouter la notion dintensité pour appréhender les turbulences. Marchesnay (1986) envisage, outre un caractère perceptif, la turbulence selon lampleur du changement. Cette ampleur est envisagée par Mac Cann et Selsky (1984), dans leur définition de lhyperturbulence, comme le seuil à partir duquel la capacité dadaptation des membres devient insuffisante. Ansoff (1979) envisage la turbulence en fonction de limpact majeur quelle a sur lentreprise.
Perspectives pour létude des turbulences
Tout au long de cette communication, nous avons essayé didentifier des points de repères dans létude de la turbulence. Nous pouvons à présent tenter de dresser un cadre permettant dintégrer les recherches sur les turbulences dans un contexte théorique. Il est clair que la tâche nest pas évidente. De par ses spécificités, la turbulence peut être vue comme une sorte de boite de Pandore qui serait en fait la cause universelle des problèmes des entreprises. On peut cependant modérer ce point de vue trop déterministe.
Nature dun environnement turbulent :
La turbulence étonne par son caractère négatif. La turbulence est avant tout appréhendée comme un état environnemental nuisant gravement à la pérennité des firmes. Il est vrai que les changements et la complexité, causes des turbulences, vont entraver le bon fonctionnement de lentreprise. Mal préparée à ce type de situation, celle ci napportera que des réponses insuffisantes. Il s'ensuivra alors un effondrement de sa situation. Cependant nous devons nous interroger sur les véritables raisons de cet effondrement. Pourquoi ces changements sont-ils néfastes pour lentreprise? Dailleurs le sont-ils vraiment?
On peut retenir que lenvironnement sera soit dynamique, soit stable. Ce dynamisme permettra un renouvellement des ressources et un accroissement des expériences des organisations. A linverse lenvironnement stable ne se régénérera jamais. Il sagirait, en quelque sorte, dun vase clos dans lequel, faute de renouvellement, les organisations périraient. Tout du moins, elles existeraient toujours tant quil y aurait des parts de marché de concurrent à gagner. Fouraker (Lawrence et Lorsch, 1986) va estimer que lenvironnement dynamique sera favorable tandis que lenvironnement stable sera défavorable.
La turbulence apparaît, à travers lensemble des propos tenus jusquà maintenant, comme une caractéristique de changement dans un environnement. On peut supposer ainsi quun environnement turbulent est un environnement dynamique. Le renouvellement des éléments qui le composent permet de voir une évolution de lensemble des systèmes qui y vivent. Par conséquent, si lenvironnement turbulent est dynamique, il devrait être favorable. Pourtant son appréhension est radicalement différente. Lenvironnement turbulent est une menace pour les firmes. Pourquoi en est-il ainsi?
Nous pouvons supposer queffectivement la turbulence est signe dun environnement dynamique. Cependant nous pouvons envisager que ce dynamisme soit trop excessif. Cest ce que nous pourrions appeler les scories dun environnement dynamique. Une succession dévénements trop rapide va gêner la gestion au sein des entreprises. Les réponses à ces différents changements deviennent extrêmement difficiles. Les événements, précisément, méritent notre attention. On ne peut pas les qualifier dintrinséquement négatifs.
Le changement des goûts des consommateurs ne peut être vu comme mauvais pour lentreprise. Cela peut lui permettre de conquérir de nouveaux clients, dinnover dans de nouveaux produits, etc. Il est vrai que ce changement va perturber la prévision des gestionnaires. Il faudra, par exemple, modifier les plans de production, faire des efforts pour comprendre les nouvelles attentes. Dans tous les cas il sagira simplement dévénements environnementaux. Une baisse des ventes traduira en fait une modification. Cest cette modification qui permettra une extension des ressources de lentreprise, en ouvrant de nouvelles opportunités.
Deux turbulences :
En fait, nous devons réexaminer les travaux sur la turbulence dune manière différente. Il nexiste pas une seule et unique turbulence. Il en existe deux : la turbulence objective et la turbulence perçue. La première sera la caractéristique dun environnement très dynamique. La seconde sera la perception que sen fera lorganisation. La turbulence peut ainsi apparaître comme positive dans le sens où elle permet un renouvellement des éléments composant lenvironnement. Cette turbulence objective, cest à dire vue sous un angle impersonnel, pourra être identifiée en fonction de critères dévolution. Ainsi appréhendée, on pourra isoler des environnements objectivement turbulents et dautres pas.
La turbulence perçue sera essentiellement considérée comme négative. Elle permettra de caractériser la perception quaura une firme sur son environnement. Elle pourra le considérer comme changeant, déstabilisant, bref comme turbulent. Elle le qualifiera ainsi car elle souffrira de ce contexte. Une entreprise confrontée aux mêmes changements, mais qui y trouverait des opportunités majeures, ne le qualifiera pas de turbulent mais de dynamique ou de favorable. Cest pour cette raison que lorsquon parle de turbulence on évoque essentiellement un coté négatif. La turbulence objective qui ne nuit pas à une entreprise ne sera pas envisagée comme dommageable.
Cependant on doit sinterroger sur la nécessaire relation entre turbulence objective et turbulence perçue. Est-ce que ce qui est relevé communément sous le terme turbulence correspond à une simple sommation des deux turbulences? Cela parait assez peu probable. En effet, on peut dune part supposer que toute les entreprises dun secteur peuvent profiter de la turbulence objective. Dautre part certaines entreprises, bien que leur environnement ne soit affecté par aucune modification, pourront avoir le sentiment dêtre dans un milieu turbulent. En fait, il pourrait sagir dune crise purement organisationnelle générée par des luttes dacteurs qui modifierait la perception des membres de lorganisation. Ainsi, on peut penser que la turbulence objective nentraîne pas obligatoirement une turbulence perçue. De même une turbulence perçue ne sera pas clairement liée à une turbulence objective. Ainsi la turbulence ne peut se limiter à une sommation des deux autres turbulences. On pourrait, à la rigueur, pondérer chacune dentre elles.
Approche contingente des turbulences :
En effet, létude des turbulences nous montre quil faut avant tout considérer lentreprise en fonction de ses capacités. Celles-ci permettront denvisager la perception des turbulences. Comme nous lavons vu plus haut, ce sont les modifications, les mutations de lenvironnement qui vont entraîner une reconsidération des capacités de la firme. Elle va sinterroger sur son efficacité à pouvoir suivre ces changements car, par moments, elle se retrouvera dans une situation de doutes. En effet, sentant que les choses vont trop vite pour elle, elle estimera que ses capacités sont inadaptées. Cette insuffisance entraînera des tentatives dajustements afin de mieux correspondre aux conditions dexistence que requiert lenvironnement.
Ladéquation des capacités aux besoins sera liée à différents facteurs composant lorganisation. Ainsi la personnalité du dirigeant influera sur la perception des turbulences. Sil est à la recherche de croissance, il intégrera plus difficilement un critère de turbulence, alors quun autre, à la recherche de pérennité, appréhendera plus rapidement une dimension de turbulence. Le vécu de lentreprise, sa mémoire organisationnelle (Reix, 1995), entraînera à considérer différemment la venue de nouveaux événements environnementaux. On voit quainsi, comme le soulignent Smith et Grimm (1987), létude de la turbulence appelle la théorie de la contingence. Il faut appréhender les phénomènes de ce type, dune manière subjective. Tout dépendra des différents contextes dans lesquels lentreprise connaîtra des turbulences.
Dune manière plus générale, nous pouvons voir, en considérant lorganisation comme un domaine de gestion, que la turbulence est un révélateur de linsuffisance dans la sûreté des choix opérés dans létablissement des frontières de lorganisation. La turbulence, si elle est perçue, mettra à mal le domaine de gestion. Il y aura un déplacement des éléments contrôlables par la firme. Cette modification de la structure environnementale représentera limpact des changements sur les acteurs organisationnels. Ainsi on peut considérer que létude de la turbulence passe par les capacités de la firme et par les acteurs qui la composent. Cela renforce le caractère subjectif que nous avons essayé de mettre en avant dans ce travail.
Ainsi il apparaît que la rapidité dans la succession des événements nuit à lentreprise car elle na pas la possibilité de réajuster son domaine de gestion en fonction des contraintes environnementales. Il sagira de la conséquence de la turbulence objective, cest à dire la turbulence perçue. Cette distinction permet dune part de repérer les environnements intrinsèquement turbulents et dautre part didentifier les entreprises qui sont un terrain propice à la répercussion de ces modifications. Les différences entre turbulences objective et perçue permettront, sans nul doute, de tirer des constatations intéressantes.
Bibliographie :
1. Ansoff, H. I. (1987). "The emerging paradigm of strategic behavior", Strategic Management Journal, vol. 8 n°6, november-december, pp. 501-515.
2. Ansoff, H. I. et McDonell, E.J. (1990). Implanting Strategic Management, second edition, Prentice Hall.
3. Ansoff, H. I. et Sullivan, P. A. (1993). «Empirical support for a paradigmatic theory of strategic success behavior of environment serving organization», International Review of Strategic Management, Vol. 4, pp. 173-203.
4. Ansoff, H. I., Eppink, J. et Gomer, H. (1979). «Management of strategic surprise and discontinuity: problem of managerial decisiveness», Revue Sciences de Gestion, n°1, pp. 459-488.
5. Bourgeois, L.J. (1980). «Strategy and environment: a conceptual integration», Academy of Management Review, vol. 5, n°1, pp.25-39.
6. Bourgeois, L.J. (1985). «Strategic goals, perceived uncertainty, and economic performance in volatile environment», Academy of Management Journal, vol.28, n°3, (Septembre), pp. 548-573.
7. Burgaud, D. (1995). «Lorganisation marketing dans un environnement turbulent: fléxibilité et réactivité», Revue Française de Marketing, n°155.
8. Cameron, K. S., Kim, M. U. et Whetten, D.A. (1987). «Organizational effects of decline and turbulence», Administrative Science Quarterly, n°32, pp. 222-240.
9. De Rosnay, J. (1975). Le Macroscope. Vers une Vision Globale. Le Seuil.
10. Dess, G.G. et Beard, D.W. (1984). «Dimensions of organizational task environments», Administrative Science Quarterly, 29, pp. 52-73.
11. Emery, F. E. et Trist, E.L. (1964). «La trame causale de lenvironnement des organisations», Sociologie du Travail, n°4, pp. 337-350.
12. Forgues, B. (1991). «La décision en situation de crise», Revue Française de Gestion, n°86, (Novembre-Décembre), pp. 39-45.
13. Joffre, P. et Koenig, G. (1985). Stratégie dEntreprise. Antimanuel. Economica.
14. Julien, P.-A. et Marchesnay, M. (1988). La Petite Entreprise, Vuibert.
15. Kalika, M. (1991). «De lorganisation réactive à lorganisation anticipative», Revue Française de Gestion, n°86, (Novembre-Décembre).
16. Le Bas, C. (1995). Economie de lInnovation. Economica, collection Economie Poche.
17. Lawrence, P. et Lorsch, J. (1986). Adapter les Structures de lEntreprise. Les Editions dOrganisations, Paris.
18. Mac Cann, J. et Selsky, J. (1984). «Hyperturbulence and the emergence of type 5 environments», Academy of Management Review, vol. 9, n°3, pp. 460-470.
19. Marchesnay, M. (1986) "La TPE comme adaptation à la crise" in La PME dans un monde en mutation. Julien, Chicha et Joyal ed.. Presses Universitaires du Québec. pp. 233-240
20. Marchesnay, M. (1986). La Stratégie. Du Diagnostic à la Décision Industrielle. Chotard et associés éditeurs.
21. Marchesnay, M. (1993). Management Stratégique. Eyrolles
22. Marchesnay, M. et Rudel, S. (1985). «La gestion du risque dans les T.P.E.: faits et théories», Revue Sciences de Gestion, n°6, pp. 43-76.
23. Meyer, A.D. (1982). «Adapting to environmental jolts», Administrative Science Quarterly, 27, pp. 515-537.
24. Millier, P. (1987). «Les produits à haute technologie: définition et problèmes marketing», Work paper, IRE-ESC Lyon, Août 1987.
25. Post, J. et Mahon, J. (1980). «Articulated turbulence: the effect of regulatory agencies on corporate responses to social changes», Academy of Management Review, vol. 5, n°3, pp. 399-407.
26. Pras, B. (1991). «Stratégies génériques et de résistance dans les canaux de distribution: commentaires et illustration», Recherche et Applications en Marketing, vol. 6, n°2, pp.111-123.
27. Reilly, A. , Brett, J. M. et Stroh, L. K. (1993). «The impact of corporate turbulence on managers attitudes», Strategic Management Journal, vol. 14, pp. 167-179.
28. Reix, R. (1995). Systèmes dInformation et Management des Organisations,Vuibert.
29. Smith, K.G. et Grimm, C.M. (1987). «Environmental variation, strategic change and firm performance: a study of railroad deregulation», Strategic Management Journal, vol.8, pp.363-376.
Retour
|
||